Crise : notre bien-être sera plus cher

Crise : notre bien-être sera plus cher

Lors d’un dîner entre amis, j’ai eu le plaisir de croiser Bruno Colmant qui est professeur à la Vlerick Management School et à l’UCL, et membre de l’Académie Royale de Belgique. Nous avons décidé de nous revoir. J’avais lu un de ses nombreux livres tres décalés. Je lis également ses chroniques sur Trends.be. La dernière parle (comme d’habitude) de sujets qui me tiennent à cœur et constitue un avis autorisé et talentueux. J’ai souhaité la publier en « une » de ce blog. Avec l’autorisation de Bruno Colmant, je vous la livre en entier  :

« A New York, leurs bureaux sont situés dans les étages supérieurs de Manhattan. Ils sont grands, diplômés de Harvard et audacieux. Leurs regards sont carnassiers. Ils adoptent des postures de capitaines traversant les grandes houles. La cartographie de leurs investissements est planétaire. L’argent n’est plus qu’une expression numérique. Pour ces banquiers d’affaires et dirigeants de hedge funds, la planète est un immense stratego.
A Londres, ils entretiennent le charme désuet de la City. Logés dans des maisons de maître, ils scrutent les moindres virgules des comptes des entreprises. Leurs analyses traversent les bilans pour sonder le caractère des hommes qui dirigent les sociétés dont ils sont actionnaires. Leur détachement est complet. Pour certains, la faillite de plusieurs Etats européens est froidement inévitable.
A Athènes et Dublin, les populations sont tétanisées et désabusées. En quelques mois, tout s’est écroulé. Leurs pays sont sous la coupe d’institutions monétaires étrangères. Les économies européennes sont désormais les otages des pourvoyeurs de capitaux étrangers. Le capitalisme est cruel et cynique. Il glace et est révulsant d’injustice car l’humain est relégué au rôle de variable d’ajustement.
Que s’est-il passé ? Où sont les jours heureux des conjonctures prometteuses et des lendemains qui chantent ? Et puis, à qui la faute ? Probablement plus à leurs gouvernants européens qu’aux banquiers d’affaires. En période d’euphorie conjoncturelle, de nombreux pays ont mis leur croissance et leur démographie futures en gage des transferts sociaux. Pour financer cet à-valoir sur l’avenir, ils ont fait appel à des banquiers et à des fonds souverains étrangers.

Gigantesque déséquilibre générationnel

Entre les années 1970 et 1990, la politique budgétaire a été charpentée sous le postulat d’une croissance qui autorisait l’endettement et le report de la charge fiscale sur les générations suivantes. Malheureusement, les courbes de natalité se sont disloquées et la croissance s’est érodée. Il en découle donc un gigantesque déséquilibre générationnel : les classes âgées de la population ont collectivement bénéficié d’un endettement public dont le remboursement par les filiations suivantes n’est pas assuré. Les déficits budgétaires et l’endettement public ont emprunté la croissance des prochaines générations.
Aujourd’hui, l’étau se resserre sur les pays en déséquilibre. Les prêteurs complaisants sont devenus des créanciers exigeants. L’hypothèque générationnelle est exercée par des banquiers étrangers et les jeunesses sont confrontées à leurs propres aînés. Les banquiers révèlent, plutôt qu’ils ne créent des crises sociales. En fait, les banques d’affaires confrontent aujourd’hui les gouvernements européens à la finitude de leurs modèles de répartition sociale. Ils posent l’équation fiscale qui se structure désormais dans la dépendance des capitaux étrangers.
Le remboursement de cette dette sera prélevé au prix d’un risque de tensions sociales, dès lors que la vague du coût du vieillissement va submerger les finances publiques. Or rien ne dit que les générations suivantes voudront, ou même pourront, payer nos dettes.
Pendant des décennies, certains pays se sont acheté des années d’immobilisme, en demandant crédit aux futurs actifs. Or c’est malsain, parce qu’aucun plan de prospérité ne leur a été préparé et que la démographie est déclinante. En réalité, il y a un risque, à savoir que ce soit l’inverse de ce qui est espéré qui se passe : les nouvelles générations ne voudront pas servir de variable d’ajustement aux pensions de celles qui les ont précédées.
Si les crises financières présentent un seul aspect positif, c’est probablement celui de forcer à réfléchir au modèle économique et à la «destruction créatrice»énoncée par Schumpeter. Cette réflexion est indispensable parce que les crises déplacent les richesses et les dettes entre agents économiques. La démarche devra, cette fois, être plus rigoureuse qu’un espoir passif de rétablissement conjoncturel.
Le profond message de la crise financière et économique, c’est sans doute celui du questionnement de la prospérité des futures générations, dont les aînés ont emprunté la croissance. La récession nous immerge dans l’économie de marché. Cette dernière disciplinera nos gouvernants. Et finalement, le manifestant grec et le banquier anglo-saxon convoient le même message : la confrontation avec 30 années de déséquilibres budgétaires. Si les taux d’intérêt augmentent, c’est parce que le confort de l’avenir coûte plus cher. »

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