L’OMC, la Chine… et Jimmy Goldsmith

L’OMC, la Chine… et Jimmy Goldsmith

Voici dix ans, à l’automne 2001, la Chine intégrait l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Le journal « Le Monde », sous la plume d’Alain Frachon, vient à l’occasion du dixième anniversaire de cet événement de publier un bilan, sans appel, de ce qui a été un marché de dupes et le début d’un gigantesque hold-up.
Pourquoi évoquer la mémoire de Jimmy Goldsmith ici ? Simplement parce que ce businessman atypique, souvent décrié, mais hyper réaliste, sinon plein de bon sens, avait joué les Cassandre dès 1993 et dénoncé le piège dans lequel on se précipitait, comme en témoigne un article de l’époque du Noubel Observateur.

Extraits de  l’article du Monde :
« C’était à l’automne 2001. Le Nord entrait en concurrence commerciale directe avec « l’atelier du monde ». L’Europe et les Etats-Unis affrontaient la Chine sans protection. Les uns et les autres allaient boxer dans la même catégorie, comme à armes égales ou à peu près.
On nous dessinait le plus vertueux des cercles. L’abolition des barrières dans les échanges avec la Chine allait doper le commerce mondial, lequel nourrirait la croissance – donc l’emploi -, au Nord comme au Sud. Dix ans plus tard, quel bilan ? Controversé….
…Faire entrer la Chine à l’OMC est l’objectif poursuivi par George Bush père, un républicain, puis aussi ardemment, sinon plus encore, par le démocrate Bill Clinton. Avec le même raisonnement : les produits chinois viendront plus facilement chez nous, mais les exportations américaines, elles, vont envahir ce marché sans fond qu’est l’empire du Milieu. Et la même certitude : les Etats-Unis vont ainsi combler le déficit commercial qu’ils enregistrent (déjà) dans leurs échanges avec la Chine.
« Cela va favoriser l’emploi chez nous, dit Bill Clinton en mars 2000, et rééquilibrer notre balance commerciale avec la Chine. » Dix ans plus tard, c’est le contraire qui s’est produit, exactement. Le déficit américain avec la Chine a explosé ; l’emploi est plus dégradé que jamais aux Etats-Unis. Coïncidence ? Ou faut-il incriminer le commerce avec la Chine, bref, son entrée à l’OMC ?…
…. »Marché de dupes », tonnent les syndicats américains (et européens). Les multinationales ont délocalisé en Chine pour produire à bas prix des produits qu’elles ont ensuite exportés aux Etats-Unis. Bénéficiaires : les actionnaires. Victimes : les travailleurs américains. En dix ans, les Etats-Unis auraient perdu un tiers de leurs emplois industriels ; leur déficit commercial avec la Chine est passé de 83 à plus de 200 milliards de dollars. »

Les réactions à cet article de la part des lecteurs du Monde sont la plupart sans nuance : « L’entrée de la Chine à l’OMC a été effectivement un cataclysme mal anticipé pour trois raisons: 1. La Chine ne joue pas le jeu sur sa monnaie et le respect de la PI. 2. Les intérêts privés occidentaux ont compris qu’il est plus facile de gagner de l’argent en délocalisant qu’en gagnant des marchés en Chine, quitte aussi à transférer notre savoir-faire. 3. Le pouvoir d’attraction du gigantesque marché chinois qui a détourné les investissements vers la Chine au détriment d’autres pays. » Ou bien encore : « En gros on pensait les tondre, on se fait tondre et on se fera racheter bientôt avec notre propre argent dans quelques années… Une grosse erreur stratégique et on va en payer le prix durant de longues années. »

C’est là très exactement la thèse que soutenait Jimmy Goldsmith dans l’interview donné à Dominique Nora en octobre 1993. L’article, publié sous le titre « L’extravagant Sir Goldsmith »,  a disparu du site internet du Nouvel Observateur. Mais j’en ai retrouvé quelque extrait ici :

Avec l’’effondrement du communisme et la possibilité de transférer instantanément capitaux et technologies, sont apparus en Asie du Sud-Est, en Chine, en Russie, en Europe de l’Est de nouveaux et terribles compétiteurs qui déstabilisent nos sociétés. « Il ne s’agit pas simplement de main-d’oeuvre à meilleur marché, mais de conditions totalement différentes, comme si l’’on avait affaire à un autre monde ou à une autre planète! » Et l’auteur de souligner que « le libre-échange ne peut fonctionner valablement qu’entre économies relativement homogènes…« .
Les économistes libéraux affirment qu’’au nom des théories de la spécialisation et de l’avantage comparatif chères à David Ricardo, chacun doit abandonner les secteurs où il n’est pas le plus efficace et, pour le reste, s’aligner sur le pays le plus compétitif. «Absurde! s’insurge Goldsmith. D’abord, on ne peut pas améliorer notre productivité de 95 %. Ensuite, ce n’est pas en s’’appauvrissant que l’’on va enrichir les autres. Cela revient à s’’autodétruire pour servir un mythe.» Le credo libre-échangiste conduit en effet fatalement nos entrepreneurs à délocaliser leurs usines dans les régions à bas coût du travail, ou bien à se spécialiser dans des secteurs peu consommateurs de main-d’œ’oeuvre. Résultat: les pays industrialisés sont rongés par un chômage chronique, et «le coût de la misère et de la déstabilisation sociale (…) blesse si profondément qu’il n’est plus chiffrable».
Qu’ajouter de plus ?

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