« Les imbéciles sont tôt ou tard séparés de leur argent »

Les extraits qui suivent proviennent d’un papier du journal « Le Monde » en date du 18 octobre dernier. Ce papier intitulé « Les imbéciles sont tôt ou tard séparés de leur argent », par John Kenneth Galbraith, est on ne peut plus pertinent. Il était présenté comme suit : « Economiste iconoclaste, John Kenneth Galbraith a consacré en 1990 un livre*** aux bulles spéculatives qui scandent l’histoire du capitalisme. Nous reproduisons ici l’intégralité du dernier chapitre de cet ouvrage, qui reste ô combien d’actualité. »

Extraits :

« Les facteurs qui induisent les égarements répétés dans la démence financière n’ont pas changé, pour l’essentiel, depuis la tulipomanie de 1636-1637 (la première bulle spéculative de l’histoire, fondée sur le commerce de la tulipe). Individus et institutions sont piégés par la merveilleuse satisfaction qu’on trouve à voir grandir sa fortune. Elle leur donne en même temps l’illusion de la puissance intellectuelle, elle-même protégée par le préjugé collectif notoire qui veut que l’intelligence – la sienne et celle des autres – soit proportionnelle à l’argent qu’on possède. La conviction ainsi ancrée produit l’action : on surenchérit, on fait monter les prix – dans le foncier, ou à la Bourse, ou encore comme tout récemment dans l’art. La dynamique de la hausse conforte l’intéressé dans son choix, elle lui prouve sa propre sagesse et celle du groupe. Et ça continue, jusqu’au jour de la désillusion générale et du krach. Celui-ci – ce devrait être à présent assez clair – n’arrive jamais en douceur. Il s’accompagne toujours d’un effort désespéré et généralement vain pour se dégager.

C’est au sein même de cet enchaînement qu’il faut chercher les raisons pour lesquelles, globalement, il est si mal compris. Ceux qui sont impliqués n’avoueront jamais leur stupidité. De plus, théologiquement, les marchés sont sacro-saints…

…Qu’est-ce qui a déclenché le krach ? Des facteurs particuliers ont-ils joué pour qu’il ait été si terrible, si violent ? Qui faut-il punir ? L’un des postulats de l’orthodoxie du marché actuellement à l’honneur est, on l’a dit, la perfection inhérente au dit marché. Il peut refléter des besoins artificiels ou frivoles ; il peut être déformé par le monopole, la concurrence imparfaite ou des erreurs d’information, mais, en dehors de cela, il est intrinsèquement parfait. Et pourtant, de toute évidence, l’épisode spéculatif où la hausse provoque la hausse est interne au marché lui-même. Et le krach, son point culminant, l’est aussi. Cette idée étant théologiquement inacceptable, il est nécessaire de chercher des influences extérieures… »

*** Brève histoire  de l’euphorie financière – John Kenneth Galbraith
Traduit de l’anglais par Paul Chemla. Seuil, 1992. Aujourd’hui publié dans « Economie hétérodoxe » (© Seuil, 2007)

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