Les européens ont voté pour que la crise continue

Ce papier de Michel Rocard dans le journal Le Monde (du 6 juillet 2009) m’avait échappé. Saint Germain Audit vient, dans sa dernière lettre, de le publier intégralement. Un choix judicieux. L’analyse de Michel Rocard est on ne peut plus lucide.

Extraits : « Il y a du souci à se faire : une « reprise économique » n’est guère probable à court-moyen terme. Les facteurs en sont absents. La sortie de crise suppose, après le redémarrage par l’investissement, de retrouver un mécanisme liant les salaires aux gains de productivité.

Dans ces conditions le pronostic devient celui d’une stabilisation entre 5 % et 10 % en dessous du niveau de production atteint précédemment, puis d’une croissance à peu près nulle ou extrêmement lente pour les trois ou quatre prochaines années.

Cela veut dire mise à mal de la cohésion sociale, fragilité des gouvernements, montée du populisme. Si le détonateur financier – puisqu’on est en train de préserver le système bancaire y compris ses facteurs de déséquilibre – réexplose dans peu d’années, il frappera des économies encore plus fragiles et anémiées.

Il y a du souci à se faire, je suis désolé de ne pas savoir m’en cacher. En trente ans, c’est une révolution intracapitaliste qui s’est faite, et pour le pire. Le motif de ce changement majeur est tout simple : dans le monde bancaire, c’est une avidité démesurée, une orientation viscérale vers la recherche de la fortune, qui explique aussi bien l’extension vertigineuse des produits dérivés que les invraisemblables niveaux de rémunération, comme la tendance évidente à la tricherie et à l’immoralité à l’oeuvre dans les subprimes et les titrisations de créances douteuses.

Dans l’économie réelle, c’est le durcissement de la pression actionnariale, quasi absente jusqu’en 1980, ensuite organisée par les fonds de pension, d’investissement ou d’arbitrage, puis renforcée par la prise de pouvoir ou la constitution de minorités de blocage par tous ces fonds dans toutes les entreprises contemporaines ou presque. On veut du gain en capital, quitte à broyer les logiques d’entreprise. Chacun se souvient de la folle référence aux 15 % de rendement financier exigés un temps par les fonds.

Le diagnostic est limpide : les classes moyennes supérieures des pays développés sont en train de renoncer à l’espoir d’arriver à l’aisance par le travail au profit de l’espoir de réaliser des gains en capital rapides et massifs, bref de faire fortune. Ce comportement sociologique est incompatible avec le bon fonctionnement et surtout la stabilité du système. »

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